Puisqu’une fois encore, Seigneur, dans les steppes d’Asie, je n’ai ni pain, ni vin, ni autel, je m’élèverai par dessus les symboles jusqu’à la pure majesté du Réel et je vous offrirai, moi votre prêtre, sur l’autel de la terre entière, le travail et la peine du Monde.
Le soleil vient d’illuminer, là-bas, la frange extrême du premier Orient. Une fois de plus, sous la nappe mouvante de ses feux, la surface vivante de la terre s’éveille, frémit et recommence son effrayant labeur. Je placerai sur ma patène, o mon Dieu, la moisson attendue de ce nouvel effort. Je verserai dans mon calice la sève de tous les fruits qui seront aujourd’hui broyés.
Mon calice et ma patène, ce sont les profondeurs d’une âme largement ouverte à toutes les forces qui, dans un instant, vont s’élever de tous les points du globe et converger vers l’Esprit. Qu’ils viennent donc à moi, le souvenir et la mystique présence de ceux que la lumière éveille pour une nouvelle journée !
Un à un, Seigneur, je le vois et les aime…
Recevez, Seigneur, cette Hostie totale que la création, mue par votre attrait, votre présente à l’aube nouvelle. Ce pain, notre effort, il n’est de lui-même, je le sais, qu’une désagrégation immense. Ce vin, notre douleur, il n’est encore, hélas! Qu’un dissolvant breuvage. Mais au fond de cette masse informe, vous avez mis un irrésistible et sacrifiant désir qui nous fait tous crier, depuis l’impie jusqu’au fidèle : “Seigneur, faites-nous un!”
Teilhard de Chardin, “La Messe sur le monde”.